Scène sombre. Lumière au centre. Deux personnages. Ils se regardent, regardent la scène, le public, pendant un long moment.
Silence
Homme #1 (au bout d’un temps) : Il nous faut parler, paraît-il…
Homme #2 : Qui le dit ?
Homme #1 : Cela ne se dit pas, cela s’écrit Monsieur…
Homme #2 : Monsieur ?
Homme #1 : Votre nom ?
Homme #2 : Oh ! (réfléchissant) Je crois bien ne pas m’en souvenir.
Homme #1 : C’est fâcheux.
Homme #2 : Ça l’est.
Homme #1 : Imaginez-vous à la frontière…
Homme #2 : Pour un contrôle ?
Homme #1 : Exactement !
Homme #2 : Je n’ose y penser.
Homme #1 : N’y pensez pas.
Homme #2 : J’y pense… j’y pense… j’y pense… finalement, voyez, je ne fais que ça.
Homme #1 : C’est troublant.
Homme #2 : Il est vrai.
Silence
Homme #1 (comme pour lui-même) : Il faudrait tout de même…
Homme #2 : Je voudrais bien, mais je n’ai rien à dire.
Homme #1 : On nous a mis sur scène, il faudrait se lancer.
Homme #2 : Ça serait, en vérité, la moindre des choses.
Homme #1 : Mon oncle me disait toujours qu’une scène s’occupe.
Homme #2 : Votre oncle avait raison.
Homme #1 : Il disait que si on ne l’occupe pas on s’ennuie.
Homme #2 : Un homme sage.
Homme #1 : On le dit…
Silence
Homme #1 (sur le ton de la conversation) : Il fait beau, vous ne trouvez pas ?
Homme #2 : Comment ?
Homme #1 : Je disais qu’il faisait beau.
Homme #2 (regardant vers le plafond) : Eh bien, c’est que nous sommes dans une salle.
Homme #1 : J’essayais de trouver quelque chose…
Homme #2 : Ah…
Homme #1 : Vous n’êtes qu’assez peu coopératif finalement.
Homme #2 : Je coopère, mais je ne vois pas le ciel.
Homme #1 : Inventez ! Justifiez notre présence ! Qu’importe qu’il se trouve être bleu, rouge ou jaune !
Un temps.
Homme #2 (après réflexion) : Le temps est magnifique. J’aime beaucoup les colibris.
Homme #1 : C’est absurde…
Homme #2 : Ce sont pourtant des oiseaux charmants.
Homme #1 : Ce n’est pas la question : il s’agit que les choses soient en rapport les unes avec les autres. Sans quoi, cela va se voir.
Homme #2 : Qu’est-ce qui se verra ?
Homme #1 : Eh bien… que nous n’avons rien à dire.
Homme #2 : Cela serait fâcheux.
Homme #1 : Atrocement.
Homme #2 : Monsieur ?
Homme #1 : Ne vous aventurez pas…
Homme #2 (diplomatique) : Je retire ! Je retire !
Silence
Homme #2 : Vous aimez les colibris tout de même ?
Homme #1 : Mais qu’avez-vous, à la fin, avec vos colibris…
Homme #2 : C’est votre réaction de tout à l’heure…
Homme #1 : Oui ?
Homme #2 : Votre agacement était palpable.
Homme #1 : Et bien ?
Homme #2 : Comment peut-on être agacé lorsqu’on parle de colibris ? Cela m’étonne. Vous ne les aimez pas ?
Homme #1 : La question n’est pas là.
Homme #2 : Ils vous font peur ?
Homme #1 : C’est idiot. Ils sont minuscules.
Homme #2 : Le bec peut faire peur.
Homme #1 : Ce que vous dîtes n’a strictement aucun sens.
Homme #2 : Peut-être…
Homme #1 : Le colibri m’ennuie.
Silence
Homme #2 : Nous pourrions partir.
Homme #1 : Où cela ?
Homme #2 : Peu importe. Nous partons juste.
Homme #1 : Vous pensez ?
Homme #2 : Je crois.
Ils partent.
Rideau.