20170527_224734 (2)

Voilà – la langue devenue bouillie
s’écrase sur ma langue. J’arrache
les sangles de ce cavalier qui hurle
sur nos traces. Graphite, craie,
mine de grès noir, mine d’encre,
l’Apocalypse tâche crasse la nuit
de ses maraudes étranges.

Voilà – la plaie béante, glissante,
la ville blessée, la ville brûlante,
la fièvre de la cité, du peuple
des abîmes et des antres ;
voilà la foule blanche, le sperme,
le sucre, la fente des rues
souillées d’étoiles rances ;
voilà la danse, carnaval,
masque mortuaire, temple
sanctifié, sacrifiée, tempes
martelées d’agonie et d’enfer ;
voilà la pluie non-venue,
le versant nu de la montagne
de fer, la montagne qui sue
sa pruine, ce fruit mûr
de jour venu,
de matin attendu,
lèvres closes entre les douves,
dos griffé par l’ongle rouge,
écaille de tortue sur le doigt
de notre louve ; voilà la mue,
le serpent, l’aigle dévoré,
les rocailles qui tombent
dans le fond de cette gorge
où vont les pires amants
pour se livrer aux faunes,
aux combes et aux prières
que des terrils enterrent
pour cacher la misère
et braiser le charbon.

Voilà – le sommeil sans rêve,
tendre trêve atténuée de sel,
comme l’écume, la mousse
qui pousse lentement l’aveu,
la rage de la dernière vague
d’une dernière marée,
d’une dernière mer
qu’on asséchera bientôt ;
voilà, l’espérance déçue,
la pierre taillée, l’opale,
l’été de la haine qui remplira mon verre,
les murs sont d’une blancheur de veines
ouvertes aux quatre vents,
un zéphir brasse le sang, mon sang
comme une bière,
langue de terre, isthme,
je veux serrer les bras de cette mer
autour de ton cou bleu ;
voilà, les algues laminaires
qui affleurent une odeur d’ancien temps,
les bombonnes de nacre pleines
d’une âcre odeur de chair,
d’une âcre odeur de glaire,
éparpillements de nos statues
entre les cuisses, entre les pieds,
entre les ventres, entre les culs
aspiration de vampire
qui sniffent, sifflent des poussières
d’époques révolues.

Voilà – ma langue tut, le silence,
seule résistance, muraille dressée
contre ma panse rageuse
qui aspire des panses ;
voilà mon verbe qui se taire,
négation des négations,
soupçonneuse dénégation,
faux-témoignage, faux-papier,
fosse où va l’amour, le désir,
la glose, les dents de lait,
boîte repliée sur son socle,
minuscule indice de mon horreur,
de ma peur, fleur
poudrée d’une autre fleur,
poussée d’une autre fleur,
née d’une autre fleur
venue d’une graine nichée
dans le fond d’un autre cœur
que ma langue léchait ;
voilà, en mon poumon le déchet,
l’air vicié, le regret sur le côté
de la chaîne des Andes,
voilà, le seul nom des anges
que je pourrais nommer,
répéter, cette psalmodie
où tout est revenu,
dont tout est revêtu,
cette seule muette danse,
cette seule muette danse
inlassable et têtue.

(Rafael M. dit Roca, septembre 19**, six jours avant sa mort)





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