Tendant mon cou vers l’est. Je traverse les plaines et les vallons de l’est. L’humeur bleue est partout, crème nuiteuse qui mouille les champs et les bois.
Je suis d’ailleurs. L’horizon est couvert de poudre. Je sens la naphtaline et le mystère qui recouvre la langue de Lovecraft. Où sont maintenant les dalles ouvertes en deux, tours qui vont, dans le néant, frapper l’échafaudage.
Le bras de ma voisine est planté d’arbres obscurs. Je ne sais pas où je suis. La carte m’indique Reims. Je ne sais pas ce que je fais. Le siège est marqué par mon prénom.
« J’ai examiné les plans de la ville avec le plus grand soin et pourtant » je ne me perds jamais. Il est devenu impossible de se perdre. Je ne sors jamais dans le monde avec dans les yeux cette mousse qui pique et qui aveugle. Je n’ouvre pas de portes scellées, je ne ferme par les tiroirs, je n’ai pas de secrets ni de boîtes qu’il ne faut pas détruire.
Je suis dans un train vers l’Allemagne. Vers le nord, un ciel de pluie, les ombres. Je n’ai pas de plaine tendue par les stridences d’une corde que personne ne voit. Je ne dévore pas d’araignées maudites. Je n’ai jamais connu la folie ou sa proximité.
Les vallons sont des cuvettes atroces où se déversent des eaux rances. Devant moi, une femme, pull en vieux rose, cheveux gris vague, dort. Si le monde vomissait maintenant, s’il crachait sur ma vitre, si Reims se soulevait pour faire voir le ventre d’un énorme monstre, si la terre se retournait, si les nuages très hauts qui vont vers Paris tombaient soudainement sur la terre et soulevait les pierres, crevaient les mines en deux, comme des pommes coupées, comme des fruits morts, si je sentais maintenant que vraiment existent les choses.
Joel Mantond de Boston est posé contre moi. Sur la couverture, un œil énorme fracasse un vieux donjon de pierre. Je voudrais un grand feu pour y brûler mes mains. Une femme fait courir son doigt sur un écran bleuté.
Est-ce que personne ne regarde le crépuscule ? Chez Lovecraft, les personnages discutent de l’indicible et habitent de vieilles chambres où s’accumulent « d’antiques poussières ». Je n’ai jamais connu cette impression qu’ouvrant la porte je pourrais me trouver devant une pyramide ou sous les eaux boueuses du Nil en cru.
Ma vie n’est pas un temple. Soudain, à gauche, un château où les fenêtres brillent et derrière une très larges bandent de froid. Des flaques ici et là. Des rivières argentées par la lumière des phares. Ma vie n’est pas un temple et je n’ai peur de rien. L’angoisse est un mot inconnu. Je me souviens de ces cartes qu’on étudiait parfois et qui montrait l’Europe rétrécies, déformées dans sa distance par l’accélération du temps. Les paysages sont comme des fruits secs qu’on a laissé trainer.
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