
dans des colonnes Pessoa travaillent à sa poésie
peut-être le silence est-il la boutique de vêtement
que tous nous espérons
qui bientôt fermera
le livre des comptes brûlera lui-aussi
avec les chiffres qui sont autant de vérités
puisque le nombre ne ment jamais
quand il est honnêtement raconté
toi-aussi à Lisbonne tu aurais
ouvert un livre de poésie
comme un recueil
dénombré les pertes et les profits
de la parole prononcée
écoute ce que je crois est simple
nous nous écoutons
avec trop d’attention et de soucis
nous sommes les enfants gâtés du langage
crois-moi
nous sommes les enfants pourris
nous connaissons par cœur
nos gentilles déclinaisons
ce que tous veulent c’est
un silence que nous leur refusons
pourquoi ?
écoute peut-être
faudrait-il se dépouiller
songe à ta parole comme à ce lourd cadavre
que de vieilles femmes en silence veillent
une nuit complète avant l’enterrement
la lourde chambre de pierre grise
d’étouffante tapisserie de papier peint
le feulement régulier des aiguilles
d’une horloge dans le coin
ta parole morte qu’on vient pleurer
les cousins suivent aux cousins
les oncles chuchotent dans le jardin
les oiseaux frottent le bec aux vitres sales
tout est bien fait ainsi
ce qui s’achève est tendre écoute-moi
ce qui s’achève est tendre
souviens-toi
quand tu racontais l’école à papa
et qu’enfin tu terminais
dans la voiture le formidable bruit
de vos deux langues clouées ensemble
les champs roulaient
contre la joue du monde entier
souviens-toi après l’aveu
la muette évidence de ton lit
comme tu étais abandonné
et parfaitement heureux
les colonnes du langage s’emplissent
chaque jour un peu plus
d’un crédit impossible à rembourser
une créance à l’infini