Quant à la fabrique de la honte, c’est vrai qu’elle ne cesse jamais, me dis-je, alors que j’entends dans mon dos les rires et les blagues misogynes de deux hommes. La jeune femme, amoureuse, il me semble, de l’un des deux garçons, ris aussi quand ils se moquent d’elle gentiment (car c’est toujours gentiment que les hommes se moquent des femmes n’est-ce pas, car ce sont toujours des blagues gentilles que lancent les hommes aux femmes, n’est-ce pas et c’est toujours par gentillesse qu’elles rient aussi à ces blagues qui ne sont pas méchantes).

Je ne me suis pas rendu compte immédiatement de ce qui se disait dans l’échange. Je me suis rendu compte d’abord qu’il perturbait ma concentration avant de me rendre comte ensuite qu’il perturbait mon système de valeur. Peut-être est-ce ainsi que cela fonctionne, justement, un « système de valeur ». Perturbation dans la concentration normale. Intervention inopinée dans le focus de l’attention. Peu importe.

Le rire de la jeune femme me désarme et me met à l’épreuve. Maintenant que j’écoute, je dois faire comme si je n’entendais pas. « Faire comme si on n’entend pas » est l’attitude basique d’un humain comme moi dans une ville comme celle-ci. Je n’ose rien dire parce que je ne veux pas casser l’ordre anormal du rire qui a lieu derrière moi. J’ai peur de me mettre en péril. Je crains de mettre en péril la jeune femme qui, peut-être, ne pourra rien faire d’une remarque de ma part au sujet de ce qui se joue, selon moi, dans leurs rires.

C’est ainsi que se met en route la machinerie de la honte, la fabrique de la honte, l’usine quotidienne de la honte.





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