31.10.22
Nous marchons.
Dix, douze, treize kilomètres. Pas grand-chose et beaucoup. Nous demandant une fois toutes les trois heures où nous irons maintenant.
Une ville de « et quoi faire ? » avec toujours, au bout, une réponse et un recommencement. Un lointain vertical à déplacer.
Les trajets en métro passées à lire Les Démons de Dostoïevski et à regarder les lumières qui illuminent ici et les artères souterraines.
Dans les avenues nous marchons parfois en file indienne, comme une procession. Suivant une troupe semblable pendant plusieurs minutes.
Le ciel est bleu puis rose.
La nuit, l’irréel colle définitivement à tout. Le cliché. Avec le sentiment aussi d’être spectateur d’une pièce qui n’est absolument pas la nôtre – comme si nous étions montées sur scène par erreur, comme si nous avions, par erreur, pris la place de quelqu’un.
La honte bizarre d’entendre parler français – en soi, sentir que nous sommes attachés à cette langue-là et à cette existence-là. Entendre parler français c’est comme, d’un coup, sentir que nous sommes quelque part où nous ne devrions pas être.
Pour se sauver, chercher dans l’aléatoire quelque chose qui ne se trouve pas dans ce « plein la vue » des premiers jours. Par exemple, à Bushwick, l’envol d’une centaine de pigeons au-dessus d’une station-service désaffectée, à Charlotte Beach un vieil homme qui écrit dans un carnet froissé ou, à Harlem un crumble à la pomme chaud.
L’empaillement du souvenir par l’image ne marche pas. Les yeux ploient sous les couleurs. En haut de l’Empire State Building, ce n’est pas la ville que nous voyons, mais autre chose – je ne sais pas quoi.
Marcher des heures. Se demander « où est la ville ? ». Un passant pointe du doigt : « là-bas ».
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