01.11.2022

Ad Reinhardt peint des quasi-monochromes où deux couleurs presque similaires se chevauchent jusqu’à faire presque disparaître la frontière qui délimite l’une et l’autre.

Où commence et où se termine le territoire de la couleur : personne ne peut le dire exactement.

Devant la toile, l’œil approche et cherche ici et là les indices de la transformation.

En voyage, de la même manière, la forme des sens et des sentiments change. De la même manière s’installent les habitudes.

A partir de quand une habitue est-elle une habitude ? Quand est-ce qu’une leçon n’est plus apprise par cœur, mais simplement connue comme on sait faire ses lacets ?

Notre trajet d’ici jusqu’au métro est presque déjà une habitude. Presque déjà un quotidien. Comme sont quotidiennes les rencontres. En descendant à notre arrêt, je salue maintenant de la main le vendeur de bonbons qui tient sa loge étroite entre les deux escaliers du métro. Je ne me trompe pas : son premier salut était adressé au touriste en moi, c’est-à-dire qu’il s’adressait justement à tout ce qui, à travers moi, sans paroles, me désigne comme quelqu’un qui n’habite pas ici. Mais, en même temps, nous nous saluons maintenant à chaque fois que je passe là et si jamais je devais rester ici quelques semaines de plus, quelques mois, alors pour lui aussi ce geste deviendrait une sorte d’habitude.

Quand je me demande combien de temps il me faudrait pour habiter une ville comme celle-ci, je me demande en fait combien de temps il me faudrait pour infléchir, même un peu, les habitudes de cielleux qui vivent-là. Peut-être qu’habiter c’est cela : déplacer, même très légèrement, le territoire des habitudes de l’autre.

Certains quartiers new-yorkais semblent inhabitables – des siècles seraient nécessaires pou infléchir, même minimalement, le déplacement des aiguilles sur ce cadran.

Au contraire, vers Harlem, vers Brunswick ou Williamsburg, ici même dans le Bronx, quelque chose est possible.

Combien de place faut-il pour habiter une ville comme celle-ci ? L’espace saturé des quartiers riches ressemblent au Père Lachaise : toute la place est prise.

Tout à l’heure, en passant à Greenwich Village, je regardais les « habitués du quartier », entièrement déguisés, se saluer avec des gestes emphatiques et démonstratifs. Devant les portes, les ultra-riches (mannequins célèbres, éditeur.ices, financiers) distribuaient des bonbons, assis sur des nappes quadrillées. Trouble de voir s’ouvrir ses portes toujours fermées et de traverser, comme dans une galerie marchande d’un type particulier, le quotidien d’un monde à jamais éloigné.





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