L’empreinte – trente deuxième lettre.
L’utilisation administrative des dermatoglyphes donne à notre punition, croit-on dans les milieux initiés aux lois de la « gestion carcérale », un caractère non seulement OBJECTIF, mais encore RADICAL.
Ici-bas, tout à chacun est, de fait, soumis au régime de l’empreinte et celle-ci devient très vite un dispositif qui conditionne l’ensemble des mouvements et interactions dans notre corporation – qui ne compte pas seulement les prisonniers, mais aussi les gardiens et encore la cohorte très peuplée des directeurs et sous-directeurs de la prison.
Or, à ce sujet, je veux te raconter une anecdote que tu dirais « édifiante » alors qu’elle n’est, pour moi qui connais les arcanes du pouvoir administratif dans ses expressions les plus tortueuses, qu’une anecdote.
Lors de mon arrestation, au début de ma garde-à-vue, l’agent en charge de mon dossier administratif me demande de « déposer mes empreintes » (je reprends ses termes exacts). Se faisant, et avec le discours BIEN RÔDÉ et PARFAITEMENT LIMPIDE propre aux petites mains de ce type de système, il m’explique que cette disposition légale est nécessaire car elle permettra de me confondre si jamais la pulpe de mes doigts correspond POINT PAR POINT aux empreintes retrouvées je-ne-sais-où sur ce qu’il est convenu d’appeler « le lieu du crime ». CAR, ajoute-t-il, dans un excès de zèle que lui reprocherait je crois n’importe quel administrateur RIGOUREUX de la cause judiciaire, CES EMPREINTES SONT QUASI-UNIQUES.
Moi, alors, non par esprit de rébellion (j’étais déjà dans ces attitudes de soumission totale dont je t’ai déjà parlé), par curiosité naturelle, je lui demande : « Comment cela quasi-unique ? ». Lui, me soupçonnant sans doute de chercher une « porte de sortie » (le disant de cette manière-là du reste), me frappe et rectifie, autant pour lui-même que pour moi crois-je : UNIQUE.
Mais, ce terme de « quasi-unique » appliqué à mes empreintes, je l’ai depuis régulièrement entendu par d’autres membres du corps pénitencier de telle sorte que j’ai compris qu’il s’agit-là d’une expression pour ainsi dire CONSACRÉE, d’un parfait LEITMOTIV.
Quant au sens de cette « quasi-unicité », il m’échappe toujours et, exception faite de ce premier jour où, ne connaissant pas les règles implicites de la machinerie judiciaire je me laissais encore prendre à mes élans intellectuels (parfaitement délétères et problématiques dans notre environnement pénitentiaire), j’ai demandé de quoi il s’agissait à cet agent de garde-à-vue, j’ai depuis lors conservé intact, en moi et dans l’esprit de mes interlocuteurs extérieurs, parfaitement net le mystère presque MÉTAPHYSIQUE de cette « quasi-unicité » et je n’ai plus posé aucune question.
L’Empreinte se suffisait.
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