ma mémoire n’est rien
que ces quelques scènes suspendues au-dessus de la vallée
ces quelques scènes dans lesquelles je circule sans arrêt
comme le montagnard emprunte le même chemin
pour sortir d’un coteau, d’une forêt
lui qui ne connait pas d’autres sentiers
que ceux balisés depuis l’enfance
comme si ma pensée devait suivre d’abord ces pistes
pour atteindre le point culminant, la crête
où résiste un secret
ma pensée monte par des sentiers connus,
bien que quelques fois recouvert d’une épaisse couche de neige
et chaque pierre et chaque ruisseau
est reconnu par ma pensée
et ma pensée peut voir les saisons varier en moi
par les mille altérations
qui changent discrètement la montagne que je gravis en moi
pour atteindre finalement, toujours au même instant,
ce point particulier où le chemin s’arrête
bute devant cette falaise infranchissable
comme l’enfant qui ne dépasse jamais les limites de son jardin
ma pensée arrêtée ici, bute et bute encore, frappe contre la pierre
qui lui refuse l’accès à la pointe noire
où toute la mémoire est ramassée
je sens ma pensée circuler, comme un fauve
autour de ce rocher,
cherchant l’accès à une proie difficile
j’observe, en contre-bas, la vallée d’où je viens
et que j’explorais hier
devenue soudainement aussi hostile que le sommet
séparée de moi par une mer de nuages
de mémoire brouillée
je me tiens dans l’entre-deux
suspendu moi-même entre deux scènes concurrentes
ne sachant si je dois
monter ou redescendre
interrogeant des yeux mon père au-dessus
et ma mère en-deçà (ou l’inverse, je ne sais)
rassemblant mon courage
pour attaquer la face lisse et nue
de cette falaise qui me tient
depuis l’enfance en respect.
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