
le paradis est une chose difficile
« le paradis c’est une chose difficile » prévient le Prince Chtch. à l’Idiot – le paradis est une chose infiniment plus difficile que ce que « votre cœur noble semble le croire » ;
j’ai bien du mal à croire le paradis difficile : je te regarde te débattre dans une sorte d’enfer que nous nous obstinons à appeler « la vie » et je ne peux pourtant croire à cet impossible paradis duquel il est question ;
moi aussi je suis un idiot, un idiot naïf, naïf et donc coupable et coupable doublement puisque non seulement je crois au paradis, mais je le crois immédiatement disponible – faut-il encore vouloir baisser la main ;
une femme à côté de moi parle en espagnol, dans ce café parfaitement chauffé de Montreuil où j’écris ; je ne la comprends pas ; j’observe l’activité fébrile du jeune serveur, sa manière de rapprocher les chaises, de déplacer les tables, sa manière de ramasser les serviettes sales abandonnées, et je me demande ce qu’il faudrait à tout cela pour que tout cela, d’un coup, brutalement, devienne le paradis ;
d’où vient ma conviction profonde, mon optimisme, pourquoi suis-je certain qu’entre cet état des choses et le plus parfait des paradis terrestres n’existe, à tout le moins, qu’un tout petit écart, presque rien, vraiment presque rien ;
cet insupportable « presque rien » sépare tout en deux plans, selon une ligne de démarcation infranchissable et terrifiante ; range d’un côté le bien absolu et de l’autre le mal absolu, d’un côté la douleur complète et de l’autre le contentement infini ;
et je pourrais me perdre à configurer mentalement les choses, les disposer autrement : je veux dire, dans cet ordre précis qui les ferait tenir ensemble sans jamais chuter ;
puisque la chute, au fond, n’est que la conséquence d’un équilibre seulement « un tout petit peu trop fragile » et que l’oscillation des êtres sur la crête du paradis possible, leur visage funambule, n’est « presque rien » qu’un tremblement subtil du corps, une très légère inclination du torse vers l’arrière ou vers l’avant ;
cette chose « difficile » du paradis, cette chose « difficile » du bien, la façon dont, irrésistiblement, la chute accompagne le mouvement, la marche consubstantiellement associé au mauvais pas, tout cette économie grotesque, cette gesticulation quotidienne pour parfaire une pièce déjà pratiquement parfaitement arrangée, jusqu’où ira-t-elle ?

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