Untel

Untel

untel parle, enfin, secoue la tête, penche
la tête à gauche – et encore, très légèrement,
raconte, dans cette assemblée spéciale,
composée exclusivement d’un premier cercle
d’amis très chers – une sorte de respectueux
conclave, une aventure qui lui est arrivé
(quelque chose comme un scandale sur le point
d’éclater)

celui-ci narre pendant longtemps l’affaire, les
secousses de ce continent vital et l’assemblée,
elle, se tait, saisie, peut-être, dans quelques questionnements

à la fin, ou peut-être juste avant que la dernière phrase
s’achève complètement, la honte se propage
de bouche en bouche, de lèvre en lèvre, et au bord
de cette honte, comme d’une plage, le corps longiligne
du regret (« nous ne savions que faire »)

le parleur lui-même, dans le silence, comprend
qu’il a été quelque part où on ne l’attendait pas :
son geste, soudainement, lui paraît grossier et, pire,
contraire aux règles non-écrites de notre parlement

muets, les uns et les autres s’observent : mais qui
parlera en premier (personne assurément) ; la honte,
elle, se propage, flaque d’un liquide visqueux, touche
presque les pieds de nos convives qui, discrètement,
sous la table, relèvent les talons

la froide résistance de ce silence obstiné trouble
le narrateur initial qui hésite presque à s’enfuir
sur le champ

mais, comme par une sorte de fait exprès, prévenu
peut-être par quelques Providence, un nouvel homme surgit :

celui-ci, rageur, frappe dans le paillasson
qui encombre l’entrée ; hurle immédiatement
des insultes à la table et tous, soulagés, sauvés,
saisissent l’occasion et le couvre d’un orage
d’imprécations ;

c’est comme une averse de honte involontaire
qui tombe sur l’importun et lui, idiot, chancelant,
ne sait que dire et se tait ;

l’untel vient remercier le ciel, en secret, sous son crâne
d’une telle intervention ; combien lui faudra-t-il
de coupables comme celui-ci, il ne sait, mais il se frotte
les mains à la chemise de l’insulté ;

pour comprendre

se représenter le visage d’un homme
qui vient de voir son voisin frappé par la foudre
qu’on lui destinait